« L’œuf et la poule»

Un paradoxe est toujours une fête de l’esprit, un jeu qui stimule l’acuité intellectuelle. Celui de l’œuf et la poule, si souvent évoqué, a depuis toujours suscité un intérêt, voire une passion chez les philosophes et les scientifiques. Il a aussi amusé Raymond Devos qui demandait avec malice si l’œuf était le père de la poule, ou la poule, la mère de l’œuf.

Alors qui est apparu en premier ?

Aristote qui s’intéressait à tout, s’est aussi interrogé ; il a opté pour la poule, première à ses yeux, l’œuf étant pour lui une « poule en puissance », la raison d’être de l’œuf.

En réalité, le simple énoncé du paradoxe souligne la difficulté à distinguer cause et effet ; il s’apparente à un diallèle, un argument qui tourne en rond et conduit à une forme d’hypnose intellectuelle, à l’instar du paradoxe du menteur.

Avec l’approche chronologique, priorité est donnée à l’œuf, ce qui induit non sans ironie, que la poule serait un animal qu’on peut manger avant sa naissance 🙂

En pratique le coq est déjà une forme de réponse latérale, car pas de poussin en perspective, si l’œuf n’est pas fécondé par un baiser cloaqual. Il faut donc un tiers dans le cycle.

Quid alors ? L’évolution nous répond.

Il est aujourd’hui établi que les premiers œufs dotés d’une coquille suffisamment dure pour être protectrice, sont ceux des dinosaures ; ils datent du Jurassique inférieur, soit il y a 190/195 millions d’années environ. Ces coquilles seraient la solution inventée par la Nature pour protéger les œufs des premiers vertébrés, sortis de la mer pour vivre sur la terre ferme.

La lignée des dinosaures donnera naissance à de nombreuses espèces d’oiseaux, dont les œufs sont plus tardifs. A cette lignée appartiennent les gallinacés, version domestiquée des oiseaux dont les poules, apparues il y a environ 10.000 ans dans le sud de l’Asie (7000 ans environ en Europe).

Ces dernières ne sont donc pas nées d’un œuf de poule, mais d’un autre animal appelé le « presque poulet » soumis des mutations génétiques. C’est donc l’éclosion d’un œuf d’une espèce plus ancienne qui aurait donné naissance à la première poule, avant qu’elle puisse à son tour, pondre les premiers « œufs de poule ».

Notre intérêt pour l’évolution de l’espèce dessine sans doute en filigrane le besoin de connaître l’origine du monde… mais rien ne prouve que l’origine fasse partie du monde.

Jacques Varoclier

crédit: Alison Burrell