« J’AURAIS VOULU ETRE UN ARTISTE »

« La science, c’est nous, l’art, c’est moi » Victor Hugo

Les sciences dites « exactes » revendiquent l’objectivité de la vérité. Cette prétention est aussi un humble aveu de leurs limites, comparées aux sciences plus modestement « humaines » ou ressortissant aux domaines artistique et intellectuel.

La science découvre, comprend et explique ce qui existe et contribue au savoir collectif. Elle lève le voile de notre ignorance, révèle et produit non le, mais du vrai, objet d’un consensus au moins temporaire entre chercheurs. Pour autant, même un génie scientifique ne transforme pas le cours de la science, ni du savoir ; au mieux, il en accélère le processus ou le cheminement. Au demeurant, l’histoire des sciences retient rarement le patronyme de ses illustres représentants, dont le nom n’est cité que par commodité au regard de la découverte.

« Les savants ne font autre chose, après tout, que de trouver dans la nature ce qui y est. La personnalité du savant est absente de son œuvre » Et Delacroix de poursuivre « Il en va tout autrement de l’artiste. C’est le cachet qui l’imprime à son ouvrage qui en fait une œuvre d’artiste, c’est-à-dire d’inventeur »

En effet, dans le domaine artistique, l’œuvre est indissociable de l’auteur, qui n’est pas un inventeur au sens juridique de découvreur, mais au sens artistique de créateur.

« Après un savant : d’autres savants. Après un musicien : le silence » André Comte-Sponville

L’Amérique existait avant Christophe Colomb, tout comme le triangle, avant que son nom lui fût donné. En revanche, pas de Zarathoustra sans Nietzsche, de Joconde sans Léonard de Vinci ou de Flûte enchantée sans Mozart.

C’est aussi pourquoi, la philosophie n’est pas une science, puisque si elle fait appel à la rationalité et au logos, elle se pratique comme un art. Il s’agit d’exprimer ce qui est, par la création de ce qui n’existe pas, comme le font l’écrivain, le sculpteur, le peintre ou le compositeur. L’artiste et le philosophe révèlent via leurs personnalité et tempérament, une perception, une représentation du monde, qu’ils proposent à l’émotion intellectuelle ou esthétique de leurs contemporains. Au-delà de la compréhension, il s’agit de faire appel à l’affect, plus souvent exprimé que compris.

« Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment » Pascal

L’art et la philosophie ont en partage la noblesse de leur inanité ; ni l’un ni l’autre ne servent de rien, ni à rien, mais peuvent inspirer émerveillement, car rien n’étonne autant que la beauté, la grandeur ou le sublime, ce sentiment paradoxalement délicieux de petitesse face à la majesté des montagnes ou la puissance de l’océan. Rodin a raison : « l’admiration est un généreux vin pour les nobles esprits ».

Cette émotion esthétique est essentielle et saine ; elle est une passion joyeuse qui fait lever les yeux vers les étoiles du génie humain pour guérir la déchirure à n’être pas Michel-Ange, Beethoven ou Picasso.

Philosophe ou artiste n’est pas un métier mais une attitude et une passion, mues par la soif des cimes. Quelques rares évoluent dans des sphères si élevées qu’ils en deviennent célestes.

C’est pourquoi, la mort à 31 ans, de Schubert ou de Pic de la Mirandole, émeut davantage que celle du génie Evariste Gallois, Rimbaud des mathématiques mort à 20 ans suite à’un duel au pistolet pour « une infâme coquette » ; en effet, tout normalien d’aujourd’hui en sait plus que lui ; son assassinat à l’aube de sa jeunesse aussi tragique soit-il, ne suscite pas la même amertume douloureuse, que le vide laissé par la mort d’un artiste.

La Symphonie Inachevée le demeurera.

crédit: Cottonbro Studio