Cause, effet, raison et motif

Dans une précédente chronique du Petit Journal n°36 « Cause toujours… », nous avons évoqué le principe de causalité qui régit notre appréhension du monde. (https://www.varoclier-avocats.com/wp-content/uploads/2015/09/le-petit-journal-du-cabinet-varoclier-avocats-n36-septembre-2015.pdf)

David Hume y voit une simple habitude de l’esprit, issue de la récurrence constatée d’une conjonction de deux phénomènes successifs. (https://www.varoclier-avocats.com/billets/david-hume-dynamiteur-de-la-metaphysique/). Pour Kant, elle est un instrument de la raison, comme le temps et l’espace, un concept a priori permettant d’organiser l’expérience, mais non une propriété du réel en soi.

Le sujet est complexe et ne se réduit pas à une pure spéculation métaphysique ; en pratique, la cause est omniprésente en droit, sciences et philosophie. Elle est une notion incontournable dans notre compréhension du réel, des actions, décisions ou comportements humains. Dans les trois disciplines, le couple inséparable cause/effet occupe une place déterminante ; il explique pourquoi un phénomène ou un acte se produit. La causalité est un outil partagé, utile pour comprendre une volonté humaine (droit), une loi physique (sciences) ou un principe général (philosophie). 

Dans tous les cas, la cause est à l’origine d’un effet, qui en est le résultat ; elle décrit la connexionentre prius et posterius, un fait et son effet. Parfois s’invitent les termes de « raison » ou « motif », dont la proximité sémantique n’en fait toutefois pas des synonymes.

En droit, la cause dite « objective » décrit la « contrepartie » attendue, justifiant l’engagement d’une partie et garantissant la validité d’un contrat, à raison de son équilibre contractuel ou sa licéité (ordre public). Cette notion de cause a disparu du Code civil, mais demeure liée à la justification objective d’une obligation ; elle est toutefois distincte du « motif » qui pousse une personne à agir et désigne sa motivation profonde (cause subjective). Ainsi en droit pénal, l’impulsion psychologique de l’action peut aggraver ou atténuer la responsabilité de l’auteur d’un délit ou d’un crime.

La science étudie l’enchainement causal et cherche à valider la constance du phénomène entre ce qui précède et s’ensuit. Ici, la cause y est le facteur ou l’élément qui produit un effet mesurable et observable dans le cadre d’une expérience soumise à un protocole rigoureux. Il s’agit de la cause efficiente au sens aristotélicien, i.e. celle produisant l’effet, sans portée finaliste ou téléologique, appréciée en tant qu’agent d’un changement.  L’objectif est de comprendre, prédire et reproduire un phénomène, mais en abordant l’information de façon neutre et factuelle : le plateau de la balance penche si j’y place un poids. Ainsi la science désigne et décrit l’élément qui produit le phénomène. Elle explique un enchainement d’événements, mais n’en donne pas la raison. Or pour Pascal ou Leibniz , il existe nécessairement en amont une RAISON à la cause. Si je laisse tomber une pierre du 1er étage, la cause de la chute tient au fait que je la lâche, mais la raison de sa chute est la loi de gravité. De même il pleut parce que les nuages sont saturés d’eau mais la raison en est que l’air humide se refroidit en haute altitude.

Pascal s’est ainsi intéressé à ce qu’il a nommé la « raison des effets », c’est-à-dire une loi ou un ratio permettant de relier avec constance et fiabilité les causes et les effets. A ce stade, iI s’agit de comprendre la structure logique et rationnelle sous-jacente aux faits observés. Ainsi en est-il de la démonstration de l’existence du vide avec le tube de Torricelli : la cause du phénomène est la pression de l’air (le mercure reste dans le tube), mais la « raison des effets », la loi expliquant pourquoi la pression agit ainsi (savoir la proportion entre la hauteur du mercure et la pression atmosphérique).

En scientifique, Pascal était un adepte de la causalité mais en philosophe, il voulait élucider la cause, en « rendant raison » à l’effet. Cette « raison des effets » recherche le « pourquoi » de la cause. ❶

Ainsi, est-il possible de mieux comprendre sa « construction à trois degrés », décrivant les paliers séparant l’effet de sa raison :

– La constatation de l’effet observé, savoir le « fait en attente de raison » ❷, 

– L’interprétation ou la détermination de la cause efficiente (ce qui produit l’effet) identifiée par un observateur éclairé, qui l’analyse avec méthode,

Enfin, la raison des effets, i.e. la découverte de la loi qui rend le phénomène intelligible, donne sens à la cause, explique pourquoi et comment elle produit l’effet. 

La tradition philosophique s’intéresse à l’antécédent, en tant qu’il « fait cause et produit l’effet » (cause efficiente comme en science), mais aussi à l’intention qui l’oriente, ou le but poursuivi donnant signification à une action (cause finale). Elle recherche l’origine, le motif (l’impulsion ou l’élément subjectif qui met en mouvement la volonté) et le but d’une action ; elle rend compte de l’agir humain sur le plan rationnel et moral. Il s’agit d’étudier les états mentaux, croyances, désirs, pulsions ou intentions, autrement dit les diverses raisons qui fondent son agentivité. 

Or, la cause des actions humaines transcende l’explication physique ou mécanique qui ressortit à la science. Le sens d’une action humaine ne se réduit pas à une chaine causale déterminée : elle s’inscrit dans le champ plus vaste des choix, délibérations ou projets d’un agent, mû par une liberté propice à l’imprévisibilité ; elle est le produit d’une multitude de causes, motifs et buts qui impriment singularité à tout acte et lui confèrent son intentionnalité.

Jacques Varoclier

Avocat à la Cour

❶ Laurent Thirouin : La raison s’apparente à la « cause de la cause des conséquences » constatées par un observateur éclairé et attentif, apte à s’étonner (d’où vient le fait que … ?) ; « La Raison des effets : un bilan sémantique », Courrier du Centre International Blaise-Pascal, 20 1999, 8-15)

❷ Dominique Descotes « La raison des effets, concept polémique », Courrier du Centre International Blaise-Pascal, 20 1999,39-46).