« C’est dans la conscience de son devoir, qu’on puise sa force inébranlable » Alfred Dreyfus
A l’issue de sa troisième condamnation pénale, un ancien président de la République a tenu, des propos d’une virulence rare à l’égard de la justice ; au cours de son mandat, il était pourtant ès qualités, garant de son indépendance. En outre, il demeure membre de droit du Conseil constitutionnel.
Bien sûr, l’annonce d’un jugement de condamnation sévère peut être un choc même pour les esprits préparés, inspirer amertume, voire humiliation. Mais la loi est la même pour tous et le statut d’ancien président n’est pas exonératoire. Au contraire, il oblige ; plus la fonction est élevée, plus la responsabilité est grande et plus l’exemplarité s’impose.
La justice n’est pas la vendetta ; elle qualifie les actes, pèse les preuves et applique la loi. Non sans ironie d’ailleurs, celle appliquée a été votée, inspirée ou applaudie par les mêmes qui tonitruent sur le mode complotiste. Ces contempteurs du prétendu laxisme de la justice et militants de « l’insécurité » toujours prompts à réclamer une plus grande rigueur, (tolérance zéro), sont scandalisés si, à titre personnel, ils sont l’objet de cette fermeté.
Pour autant, rien n’empêche d’être légalement coupable et moralement honorable.
Mais la justice n’est pas un théâtre de marionnettes et pour être crédible, l’indignation doit être rare, sobre, et surtout fondée. (https://www.varoclier-avocats.com/billets/indignation-attention-aux-contrefacons)
Or juridiquement, les choses semblent limpides. Des années d’enquête, trois condamnations, dont deux pour corruption et financement illégal de campagne, une peine ferme, un bracelet électronique, et désormais une incarcération à effet différé. Le tout validé par des juridictions indépendantes, dans le respect du contradictoire, avec des recours épuisés ou en cours. La différence avec les autres justiciables, tient à la qualité d’ancien chef de l’État du prévenu. Les anonymes subissent plus sobrement leur procédure, sans disposer de projecteurs, ni attachés de presse, et surtout songer à crier au viol de « toutes les limites de l’Etat de droit ».
L’indignation militante ou performative est spectacle ; elle veut faire tribune, s’exprimer dans les médias, les dîners en ville, et se draper dans la toge de la victime, convoquant avec grandiloquence démocratie ou République. Avec solennité, le ton grave, le jugé coupable s’emploie à transformer la condamnation en injustice, le juge en persécuteur, et le droit en arme politique. Il fulmine, proteste et appelle à la défense de son honneur. Mais fâcheusement, de conduite exemplaire, il n’est pas ici question, car il s’agit de stratégie de communication bruyante et d’éléments de langage.
S’il n’a plus le panache des mousquetaires ni la raideur de celui de Don Diègue, l’honneur ne vit pourtant pas de notoriété, ni de visibilité ; il requiert exigence, un sens aigu de la probité, de la droiture. L’honneur impose rigueur morale, se gagne avec dignité et parfois douleur, à travers des actes en cohérence avec ses principes. Il n’est ni rosette, ni hochet social ou vanité, mais une boussole intime, solitaire et silencieuse. Il est un besoin plus qu’une récompense ; pour autant, il se mérite et ne se proclame pas, se prouve ou constate, mais ne se tweete pas.
Un homme d’honneur est un homme de valeur(s) au singulier et au pluriel, qui répond de ses actes et ne s’oppose pas à la loi. Crier à l’honneur bafoué n’innocente pas. L’honneur n’est ni un orgueil blessé qui se brandit comme un slogan, ni une présomption d’innocence. Il ne supporte pas la contrefaçon ; il exige de reconnaître ses erreurs, d’assumer ses actes, sans transformer une condamnation en croisade, à peine de confondre vernis et vertu, le peuple avec un fan club. La révolte du juste n’est pas la plainte du coupable.
Que resterait-t-il de l’honneur, s’il n’était que le désarroi procédural d’un égo froissé, un badge ou un joker d’immunité judiciaire ?
Simone Weil suggère que le châtiment transcende l’idée de punition et réhabilite le condamné ; en acceptant la souffrance de sa sanction, il recouvre son honneur par sa rédemption morale et son ascension éthique. Pour autant, cette vision colorée d’inspiration chrétienne, ne saurait dissuader le justiciable de poursuivre son combat, mener sa défense et faire rejuger, en exerçant tous les recours à sa disposition et en premier lieu, déposer une demande de mise en liberté, dès le premier jour de son incarcération. Tel est l’apanage des démocraties.
Jacques Varoclier
Avocat à la Cour