LA LIBERTE DE LA PREUVE

Au cours d’un contentieux, chaque partie doit étayer ses prétentions des éléments de preuve qu’il estime probants. En principe, toute preuve doit être obtenue de façon licite et loyale (Art 9 du Code civil).

La preuve « illicite », initialement écartée lorsque attentatoire à la vie privée, a progressivement connu un régime plus souple, a été jugée recevable, dès lors que sa production paraissait indispensable et l’atteinte portée « proportionnée au but poursuivi ».

Tel est le cas d’un enregistrement vidéo ou audio réalisé par un employeur à l’insu d’un salarié, des preuves recueillies au moyen de dispositifs de contrôle détournés de leur objet (badges, caméras.) ou autres atteintes à la vie privée, telle la consultation de courriels personnels ou éléments recueillis sur les réseaux sociaux.

Ainsi, un employeur réduit à produire une pièce qu’il sait « illicite », devra s’en expliquer, prouver qu’il n’avait pas d’autres moyens pour démontrer la faute du salarié et qu’ainsi, l’atteinte portée à ses droits salarié, demeurait adéquate au but poursuivi.

Le juge mettra alors en regard le droit à la preuve et l’atteinte portée au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, à l’instar de l’équilibre recherché par la jurisprudence pour rendre compatible les libertés du commerce et du travail.

En revanche, jusqu’à fin 2023, la preuve déloyale était systématiquement écartée par les juges, que ce soit en matière civile, commerciale ou sociale. Seul le juge pénal pouvait tenir compte d’une preuve déloyale (Cass.crim. 11 juin 2002 n°01-85559, B. crim. n°131).

Mais dans un arrêt rendu le 22 décembre 2023 (20-20648), l’assemblée plénière de la Cour de cassation a procédé à un revirement de jurisprudence, permettant désormais au juge d’examiner une preuve « déloyale », i.e. recueillie à l’insu de quelqu’un, ou provoquée par astuce, manœuvre ou stratagème.

Cet assouplissement obéit aux mêmes conditions de recevabilité que la preuve illicite, savoir (i) que cette preuve soit la seule disponible pour établir la vérité et (ii) que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. Cette évolution est principalement due à la « part grandissante prise par les technologies de la communication dans l’établissement de la vérité factuelle » (Rapport du Conseiller-rapporteur p.53)

Ainsi, toutes les preuves, fussent-elles illicites ou déloyales, sont désormais soumises au même régime, étant souligné que la frontière entre les deux est parfois ténue.

La Cour de cassation en a fait application de sa nouvelle jurisprudence dans un arrêt du 17 janvier 2024 (n°22-17474), mais pour rejeter la preuve déloyale d’un salarié excipant d’un harcèlement moral. La Haute juridiction l’a en l’espèce jugée non-nécessaire, au prétexte qu’il existait d’autres moyens de prouver les faits allégués

                                                                                                                              Jacques Varoclier

                                                                                                                              Avocat à la Cour