La nomination d’un Administrateur provisoire n’est régie par aucun texte et relève d’une pratique prétorienne ; c’est pourquoi l’institution suit le flux de la jurisprudence y relative. Elle en a la souplesse mais aussi les sursauts, comme l’enseigne de récents arrêts.
Sur le fond, elle obéit à des conditions de mise en œuvre strictes et stables (i). La nouveauté s’exprime davantage à travers ses conditions de recevabilité (2)
1/ Quand ou les conditions pour y prétendre :
La justice n’a pas vocation à s’immiscer dans la gestion d’un entreprise in bonis et la nomination d’un administrateur constitue une mesure grave, puisqu’elle a pour effet d’évincer le dirigeant en place. Elle doit donc être exceptionnelle et viser à remédier à une situation de crise importante, rendant impossible le fonctionnement normal de la société, la menaçant d’un péril imminent ou d’une paralysie.
Le demandeur doit dès lors démontrer que la gestion des affaires sociales est entravée à raison de dissensions importantes entre les organes de gestion et/ou associés, au risque de compromettre l’intérêt social. Quant au péril, il doit être caractérisé par un risque d’une ampleur telle, qu’il pourrait compromettre l’existence même de la société. La jurisprudence est stricte dans l’application de ces critères.
Mais, l’exploitation de l’entreprise ne doit pas être compromise puisque cette procédure ne relève pas de la prévention d’entreprises en difficulté.
2/ Qui peut demander cette nomination ? Intérêt et qualité à agir
Jusqu’à récemment, cette faculté était ouverte à tout intéressé justifiant d’un intérêt légitime à agir personnel, direct, né et actuel.
Cette notion visée par l’article 31 CPC répond à la nécessité d’éviter d’encombrer les juridictions de procès fantaisistes relevant d’esprits belliqueux. Son interprétation judiciaire a été longtemps ductile et suffisamment ample pour inclure dans son périmètre les dirigeants, les organes sociaux, associés, le commissaire aux comptes, le CES, ou encore des tiers comme les créanciers sociaux, sous réserve toutefois que l’objectif de la demande, vise à préserver l’intérêt social et la pérennité de l’entreprise.
Ainsi même des investisseurs ayant vocation à devenir majoritaires se sont vu reconnaître le droit d’agir (CA Paris15-10-2021 n°20/0790 : RJDA 5/22 n°277)
A rebours, en début d’année, la Cour de cassation a jugé irrecevable à agir, le constituant d’une fiducie portant sur les actions de la société, dès lors que son action était mue par la protection de ses intérêts propres et non par l’intérêt social (Cass.com. 22-1-2025 n°22-20256 FS-B RJDA 4/25 n°206).
En mai dernier, la Cour de cassation a davantage resserré l’appréciation de la recevabilité de l’action, en jugeant qu’un créancier de la société n’avait pas « qualité à agir » pour demander la nomination d’un administrateur provisoire chez sa débitrice. (Cass.com 7-5-2025n° 23- 20471 FS-B). Ce critère procédural est habituellement requis pour éviter l’ingérence d’autrui et éviter les actions intempestives de tiers non-concernés directement.
Ainsi, pour la première fois, la haute juridiction déclare irrecevable une demande présentée par ce créancier, au visa de l’article 31 CPC, selon lequel une action en justice est ouverte à ceux qui ont un intérêt au succès d’une prétention, sauf les cas où la loi réserverait ce droit à des personnes attitrées.
En droit processuel, les actions attitrées s’opposent à celles dites « banales », ouvertes à tout intéressé, recouvrant en pratique des occurrences où qualité et intérêt à agir se confondent, la « qualité » du demandeur découlant alors de son « intérêt ».
Il est évident qu’un créancier est nécessairement suspect d’agir dans son intérêt propre et non dans l’intérêt social de sa débitrice, dont en outre il n’a d’ailleurs pas à se faire juge, pas plus que de ceux de ses associés. Il n’a dès lors pas qualité à agir en leur nom, ni en lieu et place pour les préserver (Cass.com ; 14-2-1989 n°87-13-719 : Bull. civ. IV n°66)
Dès lors désormais, le lien de droit (sa créance) ne lui confèrerait pas ou plus qualité à agir, mais même l’en priverait. Il devient disqualifié pour demander la désignation d’un AP, à raison du risque de télescopage d’intérêts contradictoires.
Cet arrêt introduit donc incertitude et interroge sur la portée qui sera donnée à la qualité à agir et le nouvel éventail de profils des demandeurs éligibles, jusqu’ici appréciés sur le strict terrain de l’intérêt légitime.
Jacques Varoclier
Avocat à la cour