Buy or sell ?

La clause de « buy or sell » (aussi dénommée clause alternative ou à l’américaine) est une création de la pratique pour anticiper les risques de blocage, nés d’une mésentente entre associés et susceptible de conduire à une paralysie de la société. 

C’est une disposition contractuelle préventive à des fin curatives, destinée à résoudre un conflit d’associés, sans aléas judiciaires ni turbulences majeures pour l’entreprise.

Le processus juridique repose sur une offre alternative : chaque partie peut enclencher le mécanisme contractuel, mais en mesurant l’irréversibilité de sa décision ; il devra aller jusqu’au terme, sans avoir l’assurance d’une issue conforme à ses attentes. En effet, en proposant à son associé de racheter ses titres, à un prix unitaire convenu d’avance (ou à défaut par elle fixé unilatéralement), il doit s’attendre à devoir céder ses titres au même prix, si le destinataire refuse son offre inaugurale. 

Cette clause « barbichette » (je te tiens, tu me tiens…) est donc à manier avec prudence et sagacité pour éviter les effets « boomerang ». Postuler sur l’attitude de son associé est nécessairement un pari. Ainsi proposer un prix trop faible expose à devoir vendre ses propres actions à ce même prix insuffisant ; à l’inverse à un prix trop élevé, la projection peut être malencontreuse, si à rebours de l’objectif supposé dissuasif, l’associé accepte néanmoins d’acheter.

Sur le plan économique en revanche, le mécanisme se révèle assez vertueux, en ce qu’il tend vers un prix « marché » ou du moins acceptable pour les deux parties. Le danger de cette clause apparaît réellement, quand l’un des deux associés est dans une situation financière délicate. En ce cas, l’autre postule que son associé n’aura d’autre choix que d’accepter son offre d’achat, même à un prix peu élevé. Pour autant, conjecture n’est pas divination ; de plus cette réalité d’un rapport de force financier entre cocontractants est un classique de la vie des affaires.

En pratique, la jurisprudence admet la validité de ces clauses dès lors que leur mise en œuvre est encadrée et notamment soumise à des conditions « extérieures » de déclenchement, ne dépendant pas de la seule volonté d’une des parties. Ce facteur déclencheur est en général le constat d’un conflit avéré entre associés.

Tel était le cas dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 12 février dernier.

En l’espèce, un gérant minoritaire de SARL détenant 40% du capital a conclu avec le majoritaire à 60%, un pacte d’associés contenant une telle clause « buy or sell » Après des tentatives amiables infructueuses de rachat des parts du majoritaire, le gérant a mis en œuvre la clause et proposé de céder ses 4000 parts sociales au prix unitaire de 10 euros, soit 40.000 euros, en soulignant qu’en cas de refus, son associé devrait alors vendre ses propres parts, sur les mêmes bases, soit 60.000 euros.

Son associé majoritaire a contesté la mise en œuvre de la clause, soutenant que

  • Le prix laissé à la seule appréciation du minoritaire était indéterminé, (i)  
  • Son associé aurait dû lui communiquer des éléments comptables permettant d’apprécier la pertinence du prix (ii)
  • Et qu’il avait dès lors mis en œuvre la clause de mauvaise foi (iii)

La Cour de cassation a rejeté son pourvoi.

(i) Sur le prix déterminable :

La jurisprudence juge qu’un prix est déterminable s’il est lié à la survenance d’un événement futur ne dépendant pas de la seule volonté d’une partie (Cass. Com. 7-4-2009 n°07-18907 FS FB). Ainsi, La Cour de cassation a admis la validité des clauses alternatives où aucun prix n’est stipulé, si leur mise en œuvre est soumise à des conditions de déclenchement (Cass.com. 20-9-20&5 n°14-15040 F-D). Tel était le cas en l’espèce et la Cour de cassation approuve la Cour d’appel, pour avoir dument relevé l’existence de conditions objectives, ne dépendant pas de la seule volonté d’une partie.

En droit, la clause repose en effet sur un engagement synallagmatique, librement consenti par les deux associés pour régler une situation de blocage. Or le fait générateur du processus était bien l’existence d’un « désaccord grave et persistant susceptible d’entrainer paralysie dans le fonctionnement de la société et de porter atteinte à l’intérêt social » 

Ce désaccord relevait de l’appréciation souveraine de la Cour d’appel, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une définition légale comme la paralysie de l’article 1844-7 du Code civil, alors soumise à contrôle de qualification.

Quant au prix, il était déterminable à partir de celui proposé par le potentiel vendeur, lequel devenait ainsi prix de référence pour le bénéficiaire de l’offre. Ce dernier disposait de la faculté de refuser d’acheter les titres proposés, mais devait alors pour s’y être engagé, vendre les siens aux conditions fixées dans l’offre de vente reçue, de sorte que la vente devenait parfaite, dès l’exécution par les parties de leurs engagements réciproques.

En résumé, la clause est valable quand chaque signataire consent à vendre ou à acheter au prix proposé par l’autre, mais à condition que le fait déclencheur du processus contractuel de mise en œuvre soit objectif et extérieur à la volonté d’une partie.

(ii) Sur la communication d’éléments financiers permettant d’apprécier la pertinence du prix proposé :

La Cour d’appel avait relevé que la clause ne contenait aucune obligation de cette nature à la charge de l’auteur de la mise en œuvre de la clause et qu’en outre le majoritaire ne démontrait pas en avoir demandé, ni s’être opposé à un refus.

(iii) Sur la mauvaise foi :

La Cour d’appel avait jugé que le désaccord grave pouvait aisément se déduire du fait que le minoritaire-gérant n’avait plus la confiance de son associé et  se heurtait à un vote hostile systématique du majoritaire refusant toutes les résolutions proposées en assemblée (y compris celle pour donner pouvoir en vue d’accomplir des formalités), à des divergences sur le nouveau local pris à bail et le transfert du siège ; une plainte avait même été déposée contre le majoritaire pour s’être opposé à la restitution d’un acompte client…

La Cour de cassation a estimé que dans son pouvoir souverain d’appréciation, la cour d’appel avait alors pu souverainement estimer que la condition de mise en œuvre de la clause était remplie et qu’aucune mauvaise foi n’était imputable au minoritaire.

                                                                                                           Jacques Varoclier

Avocat à la cour