La langue de chez nous par Jacques Varoclier

Notre langue est née en 842 d’une promesse de fidélité fraternelle, exprimée simultanément en langues germanique et romane par deux frères, Charles le Chauve et Louis le Germanique, à la mort de leur père, dans la lutte contre leur aîné Lothaire.
Le temps des serments

Ainsi sous le titre « Les Serments de Strasbourg » naquit le plus ancien texte rédigé en français. Un an plus tard, les trois frères (petits-fils de Charlemagne) se réconcilieront pour partager l’Empire paternel, Charles recevant alors la Francia occidentale.

Au Moyen Âge, le français ressemblait encore à un camaïeu de dialectes. Une césure sensible existait surtout entre les parlers d’oc au sud et la langue d’oïl au nord qui s’imposa progressivement sous la monarchie capétienne, en devenant la langue vernaculaire. Elle coexistera avec le latin, langue de l’Église, de l’Université mais aussi véhiculaire de l’Europe, à l’instar de l’anglais aujourd’hui.

Langue de la nation

Au xiiie siècle, le français se développe dans la langue administrative, amorçant un processus de centralisation linguistique aboutissant à l’ordonnance de Villers-Cotterêts, édictée par François Ier en août 1539. Cette loi sur la justice impose l’emploi du français dans les actes officiels, décision cardinale dans la généralisation du français et la construction de la nation française.

L’article 110 de cette ordonnance explicite le dessein royal : « Afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence des arrêts de justice, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement qu’il n’y ait, ni puisse avoir, aucune ambiguïté ou incertitude, ni lieu à demander interprétation. »

C’est dans le même esprit que le truculent secrétaire de Richelieu, François Le Metel, va suggérer au Cardinal la création d’une institution chargée de coordonner une langue encore trop hétéroclite, d’éroder les disparités ou approximations régionales baroques et ainsi concourir à un renforcement de la centralisation par une uniformisation de l’écrit.

Réunis autour de Valentin Corsart, secrétaire de Louis XIII, les 9 premiers « académistes » seront bientôt 28 puis 40, désignés par cooptation et à vie, devenant les illustres « immortels » de cette Académie Française officiellement créée le 22 février 1635. L’article 24 de ses statuts explicite sa mission et dessine une perspective indépassable : « La principale fonction de l’Académie sera de travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure et éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. »
Do you speak French?

Aux xvie et xviie siècles, la France est auréolée de l’éclat, de la puissance et du raffinement culturel de la monarchie. Cet effet de halo va se propager à tout le nord de l’Europe, l’Allemagne, la Pologne et la Russie et, supplantant le latin, y faire du français la langue de l’aristocratie et de la diplomatie.

Aujourd’hui, notre langue subit blessures ou humiliations, malmenée autant par ignorance, snobisme, que par abdication linguistique face à un anglais d’aéroport. Or l’affaissement d’une langue affecte l’âme et l’indépendance d’un pays, et fait vaciller son identité. La mondialisation de l’économie ou de la finance ne doit pas être celle de la Pensée, laquelle pour se construire et s’épanouir a besoin de préserver, choyer et aimer sa langue.
« C’est une langue belle avec des mots superbes
Qui porte son histoire à travers ses accents
Où l’on sent la musique et le parfum des herbes
Le fromage de chèvre et le pain de froment. »
Yves Duteil « La langue de chez nous »