L’instabilité principielle et la Justice

Une décision du Tribunal de Grande Instance de Lille, prononcée par un Magistrat d’expérience, a suscité émoi grégaire et surenchère d’indignation. Cette réaction compréhensible sur les plans sociologique ou culturel ne peut en revanche mériter une telle huée sur le strict terrain juridique.

Une décision du Tribunal de Grande Instance de Lille, prononcée par un Magistrat d’expérience, a suscité émoi grégaire et surenchère d’indignation.

Cette réaction compréhensible sur les plans sociologique ou culturel ne peut en revanche mériter une telle huée sur le strict terrain juridique.

En l’espèce, il était semble-t-il fait reproche par le mari à son épouse de lui avoir menti sur une qualité qu’il estime essentielle. Le débat ne doit pas dériver vers des plaisanteries de mauvais goût ou des sourires égrillards relatifs à la virginité d’une jeune femme.

En droit en effet, un mariage peut être annulé s’il y a erreur ou tromperie sur une qualité substantielle de l’un des époux.

L’article 180 du Code Civil, qui ouvre cette faculté, n’est d’ailleurs que la déclinaison des grands principes de droit permettant de solliciter annulation ou dommages et intérêts, lorsque le consentement a été vicié par violence ou par dol, notamment par dissimulation d’une information essentielle en l’absence de laquelle l’autre partie n’aurait pas contracté.

Il en est de même en droit des affaires, lorsque l’acquéreur d’une société estime avoir été trompé et subi de la part de son cocontractant une déloyauté majeure, affectant sa volonté d’acquérir. Ce dol peut être la résultante d’agissements ou de réticence, c’est-à-dire de rétention d’informations.

Au gré des dossiers, les Juges accueillent la demande de celui qui prétend avoir subi une déloyauté contractuelle ou le déboutent, s’ils estiment que les dissimulations évoquées sont inexistantes ou dérisoires et non susceptibles d’altérer sa volonté.

Ces principes sont sains et la perspective de les remettre en cause du chef d’un cas isolé, une mauvaise réponse à une vraie question, que seule la doxocratie de notre époque a l’art de favoriser.

La Garde des Sceaux, après avoir approuvé le Jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Lille, a provoqué un nouveau tollé en imputant la responsabilité de cette décision de Justice à la politique d’intégration des socialistes.

Au-delà de cette attitude politicienne, Madame Dati est avant tout le Ministre de la Justice, tenue à ce titre de veiller à son bon fonctionnement, réprimer ou tenter de canaliser ses dérives, mais aussi préserver et protéger les Magistrats qui appliquent le droit.

Cette « affaire » ne peut être critiquée qu’après avoir dissocié sa dimension juridique de tout ce qui ressortit à l’émotion ressentie, à raison de la dissonance entre la liberté des femmes ou l’évolution des mœurs et le « grief » retenu à l’encontre de cette jeune femme musulmane.

S’il avait porté sur une autre « qualité » substantielle attendue d’un conjoint, le débat n’aurait sans doute pas franchi la porte des prétoires.

Le point de droit confié au Juge est d’apprécier si le mensonge (en l’espèce sur la virginité) constitue une altération du consentement du conjoint pouvant légitimer cette annulation pour tromperie sur une qualité essentielle.

La jurisprudence est riche d’exemples sur cette notion (femme ayant dissimulé sa date de naissance et un précédent mariage, mari ayant caché à la fois qu’il avait contracté un mariage religieux et qu’il était divorcé, etc…) laquelle est appréciée et jugée à l’aune de l’environnement et des circonstances spécifiques de chaque affaire.

C’est pourquoi, il est souvent hasardeux de commenter une décision de Justice sans connaître les faits avec précision.

Ce triomphe de l’immédiat, ce principe d’hystérie évoqués par le philosophe Bernard Stiegler* sont nuisibles à la nécessaire pondération d’analyse qui implique de transiter par le sas de la réflexion sereine et de l’intelligence.

En outre, ces vives réactions médiatiques promeuvent une frivolité de commentaires aporétiques, suscitent un trouble inutile et maculent l’image d’une institution structurante de la démocratie.

En l’espèce, il semble que deux époux aient eu la volonté d’obtenir rapidement la nullité du mariage ; la décision ne leur a donc pas été imposée comme une sanction, mais semble correspondre à l’expression d’un vœu qui s’est judiciairement traduit par une assignation en nullité du mariage.

Une telle action judiciaire est différente d’une demande en divorce, puisqu’elle vise à mettre à néant un acte civil important, de ce fait réputé n’avoir jamais existé.
En l’espèce, le malaise est né de l’essence religieuse de la qualité réputée essentielle par le mari.

Le danger est clairement d’ouvrir la porte à une déclinaison de cette épithète au gré des valeurs morales ou religieuses de chaque époux et de chaque époque.

Le droit a pour vocation d’être le garant de la liberté et les auxiliaires de Justice, les artisans de sa mise en œuvre. La Justice confie au Juge la délicate mission de convertir le subjectif en objectif dans la mise en œuvre et l’application de textes. La jurisprudence est ainsi la rencontre du pérenne et de l’éphémère, du principe et de sa déclinaison expérimentale par nature exposée à varier et évoluer.

En l’espèce, le Juge de Lille a dû apprécier s’il y avait eu mensonge et si ce mensonge présentait pour le demandeur un degré de gravité altérant son consentement et viciant le contrat au point de justifier son annulation.

Les décisions qui ont pu être prononcées du chef de l’article 180 n’ont pas suscité une telle passion, lorsqu’il s’agissait par exemple pour une épouse de reprocher à son mari de ne pas avoir la performance sexuelle escomptée. Il est à craindre pourtant que si ce type de dossier avait connu un relais médiatique, il aurait suscité plaisanteries graveleuses, alors que le problème demeure juridiquement le même.

Il ne s’agit donc pas de s’émouvoir ou s’étonner de l’action engagée par un demandeur, qui a liberté d’agir en Justice à sa guise mais aussi à ses risques et périls, le Juge estimant seul si son action doit prospérer au regard de l’article 180 alinéa 2.

Il s’agit d’un différend privé qu’il n’appartient pas à l’opinion mais à la Justice de trancher.

Si la décision prononcée mécontente une partie ou la société via le Ministère Public, des voies de recours sont disponibles afin de soumettre à éventuelle censure le jugement critiqué. La réponse est donc judiciaire sans qu’il y ait lieu, pour apaiser les esprits échauffés, d’ériger en dérogation légale le cas spécifique de la virginité.

Il ne faut pas être grand clerc pour imaginer le catalogue qu’il serait rapidement nécessaire de rédiger si à chaque décision médiatisée suscitant polémique, le Garde des Sceaux annonçait être favorable à l’adjonction d’une exception légale. Face à des indignations souvent provisoires, la loi doit opposer sa stabilité et la démocratie faire confiance à ses juges pour en faire une application adaptée.

Le Ministre de la Justice a depuis ajusté ses propos en expliquant avoir donné instruction au Parquet de relever appel, seul recours valable ouvert par la Loi.

La Cour d’Appel saisie sera conduite à rejuger et à confirmer ou pas la décision de première instance.

Puisse sa sérénité nécessaire bien que non-suffisante ne pas être altérée par les pressions médiatique et politique.