Le temps de l’horloge

Si le présent est éternel, « un perpétuel aujourd’hui » (Hegel), la question demeure néanmoins d’apprécier si le temps existe objectivement (fait-il partie du monde, de la nature, de la réalité ?) ou subjectivement (c’est-à-dire uniquement en relation avec notre seule conscience) ?

En réalité, le temps objectif et le temps subjectif se présentent comme l’avers et le revers de la même médaille.

Si le temps n’existait que pour nous, comment pourrait-il alors « passer » ? Quelle réalité donner aux milliards d’années écoulées depuis le big bang ? Le temps est donc bien aussi une notion objective que le cycle des saisons confirme.  C’est pourquoi aussi l’on vieillit.

Tout est dit en deux vers de Ronsard :

« Le temps s’en va, le temps s’en va ma Dame,

   Las ! Le temps non, mais nous nous en allons ».

Bergson oppose le temps objectif, de nature chronologique et scientifique, à la durée, ce temps subjectif et psychologique, vécu par la conscience comme un flux homogène.

Le premier extérieur à l’homme est le temps de l’horloge, celui qui hors de moi et ma conscience décrit dans l’espace une succession héraclitéenne de positions de l’aiguille uniques, juxtaposées, autonomes et mesurables. Cette définition est un hommage à Aristote pour qui le temps est « le nombre du mouvement ». Elle permet de diviser et calculer un intervalle de durée. Toutefois, cette conception du temps exprime une perception spatialisée mais échoue a en exprimer l’essence. Le déplacement des aiguilles de l’horloge mesure ainsi non pas du temps mais de l’espace, un espace à une seule dimension, symbolisé par la flèche du temps.

Au contraire, la durée est le temps vécu, celui du cœur ou de l’âme qui fait ressentir certaines heures plus longues que d’autres ; nous l’appelons fautivement le temps alors qu’elle est temporalité, cet autre et plus juste nom de la mesure humaine de la durée.

Si horloge sans conscience ne fait pas durée, inversement durée sans horloge déstabilise la conscience, à l’instar de la situation douloureuse du prisonnier enfermé dans un espace clos, sans repères et livré à sa seule pensée ; il éprouve en effet la seule expérience du temps subjectif, cette durée intime et hétérogène constituée par des faits de conscience, sans lien avec le nombre d’oscillations des aiguilles d’un montre dont il  est privé.

La temporalité, même dans des conditions moins extrêmes, relève de l’intimité du vécu, qualifié par Bergson de moi profond  (« je me sens durer, avancer dans le temps ») pour exprimer que nous ne sommes pas des mobiles dans un temps qui serait un espace mais une durée intérieure, laquelle nait de notre seule conscience, comme la mélodie des notes de musique qui se suivent ou l’impression de mouvement d’un film née de la succession de 26 images par seconde.

Einstein nous a appris à penser comme un continuum, le temps spatial de la montre et celui vécu. La théorie de la relativité a en effet battu en brèche la notion newtonienne d’un temps absolu, universel, linéaire, mesurable et objectif. Elle enseigne ainsi que le temps s’écoule différemment selon la position et la vitesse de l’observateur. Plus la vitesse de celui-ci  est grande, plus le temps s’écoule lentement, instaurant ainsi un lien étroit entre les deux. Einstein est l’auteur du concept nouveau d’espace-temps.

Cette notion invalide tout idée d’ « écoulement » du temps dès lors que l’espace se transforme en temps et que le temps se spatialise. « Il n’y a plus d’avant, ni d’après ; tout est déjà »*  De même la théorie quantique donne quitus à la philosophie et confirme que le temps n’existe pas et qu’il n’est que le produit de notre subjectivité.

Tout le monde connait l’histoire des deux jumeaux de Langevin dont l’un ferait un voyage intersidéral à une vitesse proche de la lumière. Celui resté  sur terre aura 14 ans de plus quand reviendra l’astronaute qui lui, n’aura vieilli que de 2 ans.

Ce phénomène corrobore que le temps varie en fonction de la vitesse et que n’existe  pas un temps absolu et universel comme le croyait Newton, mais au contraire des temps relatifs, élastiques, dilatables. Néanmoins, cette preuve scientifique ne prouve pas l’existence du passé ni de l’avenir et chaque jumeau aura vécu son présent.

En toute hypothèse, que le temps dépende de la vitesse ne saurait faire être ce qui n’est plus, ni advenir ce qui n’est pas encore.

 

Jacques Varoclier

 

Philippe Ségur, Le pouvoir et le temps, Albin Michel