Emprunté au latin « alea », Az-zahr en arabe désigne le dé à jouer puis le résultat obtenu avec les dés. C’est dire si le mot a une parenté étroite avec le jeu et par extension avec ce qui échappe à l’explication, la répétition, la prévision ou la planification.
A l’instar de Spinoza pour qui tout est explicable et obéit à des lois, Voltaire estime que le hasard est le nom donné « à la cause ignorée d’un effet connu ». Angoissé par un monde sans explication ni légitimité apparente, l’être humain a toujours eu besoin d’anticiper, voire prédire. Il a commencé par consulter l’oracle puis l’astrologue pour mettre les chances de son côté ; de même le joueur en soufflant sur les dés avant de les jeter, semble faire la cour à la chance, tentant de séduire la déesse Fortune qui comme Diké (celle de la justice), est représentée les yeux bandés…
Nul ne peut nier la causalité nécessaire entre la façon de lancer les dés et les numéros qui apparaîtront sur le tapis ; il existe une détermination liée au jet, mais aucune finalité même si, à la nécessité du geste se superpose l’intention psychologique du joueur. C’est d’ailleurs pourquoi la raison avec un R n’aime pas le hasard, en ce qu’il s’apparente à une forme de superstition.
En réalité, le hasard exprime notre incapacité à comprendre ou prendre en compte toutes les causes d’un phénomène. Ainsi, nous évoquons le hasard quand deux événements rares se produisent sans lien de causalité apparente. Le Bret enrage que son ami Cyrano puisse mourir assommé par une poutre ; pourtant la chute d’une tuile, dans le paradigme mécaniste de Descartes ou de Galilée, ne suscite aucune indignation car s’explique comme l’effet d’une série de causes ; il ne serait pas crédible de soutenir que la tuile tombât exprès.
C’est aussi la thèse d’Augustin Cournot (Essais sur les fondements de nos connaissances) pour qui le hasard est la rencontre fortuite de plusieurs séries causales, un événement « né de l’indépendance ou la non-solidarité entre diverses séries de causes ».
Le vrai hasard ne serait dès lors plus l’explication de notre ignorance mais une interférence contingente de la nécessité de séries causales indépendantes, au point de faire germer intention en notre esprit, là où il ne s’agit que d’un possible parmi tant d’autres, la nature étant dénuée de motivation ou finalité. « Cet univers ne nous a rien promis » (Alain).
Ainsi la formation de la Terre ou la naissance de la vie résultent d’une combinaison inouïe d’événements. Jacques Monod (Le Hasard et la nécessité) souligne cette extrême improbabilité statistique de la vie, au point de faire du hasard l’auteur de ce prodige. Toutefois, cette vision repose sur une conception linéaire de la causalité, alors qu’il se pourrait qu’elle fût circulaire, globale et acausale, induisant alors une permanente interaction. Le principe darwinien ne suffirait plus à expliquer la prodigieuse intelligence créatrice de la vie.
Tel est l’enseignement de la physique quantique, laquelle insiste sur l’absence de « localité » de la réalité ; l’univers entier contribue à l’apparition de chaque événement, à l’instar de l’exemple célèbre du battement d’ailes de papillon. Cette conception synchronique d’une cohérence globale exclut le hasard alors convoqué uniquement à raison de notre perception fragmentaire. Dès lors, si le règne de la nature ne tend vers aucun achèvement et la causalité agit sans rime ni raison, Shakespeare le visionnaire avait encore raison avec Macbeth « la vie est une histoire pleine de bruit et de fureur racontée par un idiot et qui ne signifie rien ».
Jacques Varoclier
Avocat à la Cour