Humour ou Ironie ?

Conscient des sinuosités de la vérité, Socrate a contribué à effacer les frontières entre humour et ironie. En pratique, la différence entre les deux tient surtout à la cible ; le premier est réflexif, tandis que la seconde est dirigée contre autrui.

Au demeurant, les nuances sont plus psychologiques que formelles, car tout dépend de l’état d’esprit du locuteur. Un humoriste peut rire de tout s’il sait rire de lui-même. Son esprit incisif et sémillant fait vaciller le sens et surprend son auditeur. L’humour analyse, dissèque, synthétise et s’élève vers le second degré. Il inspire complicité parce qu’il met à niveau l’humoriste et son public. Il n’est d’ailleurs pas anecdotique d’observer qu’il partage avec humilité et humanité la même racine « humus » ; ce clin d’étymologie souligne l’aptitude à se moquer de soi, ce moi qui est aussi les autres, à faire œuvre de lucidité en dégonflant les baudruches d’importance.

Il devient « anglais » lorsqu’il désigne l’aptitude à décrire avec détachement et un sens aigu de la litote, les aspects plaisants, insolites ou absurdes de l’existence, à « traiter à la légère les choses graves et gravement les choses légères » (Paul Reboux).

Pour les Britanniques en effet, l’humour est une règle de bienséance, l’art de minimiser une situation en proposant un regard qui modifie la réalité afin de la rendre plus émouvante ou surprenante. Il aide à vivre et à guérir les plaies existentielles ; il désamorce le sérieux ou la colère et plaide avec générosité pour la légèreté et la gaité.

Là où l’humour est anglais, l’ironie relèverait davantage de l’esprit français de Voltaire.

Politesse du désespoir pour Boris Vian, l’humour est un exercice d’autodérision, de plaisanterie, tandis que l’ironie vise davantage à discréditer autrui.

En effet, avec un sentiment affiché de supériorité, morale ou physique, elle rit de l’autre, se gausse sans bienveillance, brocarde souvent ad hominem. Causticité dénuée de charité ou de courage, elle peut devenir méchanceté, cynisme ou sarcasme, lorsqu’elle prend les faibles pour cibles.

L’ironie, qui est d’ailleurs parfois celle du sort, blesse, méprise, se moque, se démarque et entretient fracture ; elle humilie là où l’humour souligne que nous sommes tous égaux devant l’absurdité, le tragique et la fugacité de la vie.

Toutefois, l’ironie peut aussi être un talent pour feindre de prendre une chose au sérieux afin d’en mieux démontrer le ridicule ; elle est alors un exercice dialectique qui vainc l’imposture par le recours à l’antiphrase, l’allégorie ou la syllepse, en faisant mine de confondre sens propre et figuré. Elle devient alors plus sympathique puisqu’elle fait appel à l’intelligence de sa cible. Elle peut enfin s’exprimer sous une forme contestataire réjouissante en nouant une complicité propre aux défilés, comme lors des manifestations étudiantes contre la réforme de l’université avec le slogan : «Pécresse, Fac Off. »

Jacques Varoclier