L’ART DE LA TRADUCTION

Par Claire de Oliveira, Traductrice, Présidente du prix Nerval-Goethe et membre
de l’Académie allemande.

L’art de la traduction, art séculaire du compromis et de la négociation, est aussi un grand vecteur de culture. Sans traduction, comment se mouvoir par l’esprit dans d’autres littératures, à moins d’être un polyglotte chevronné ? De cet exercice qui suppose la rigueur et impose l’humilité, on acquiert souvent les bases sur les bancs de l’université, à savoir une compétence élevée dans les deux langues dont il faut avoir une bonne maîtrise pour servir de truchement à des auteurs de renom. S’approprier un discours étranger, parvenir à l’habiller et à l’habiter est source d’émotion – l’enjeu étant de se mettre à son écoute pour faire renaître une autre voix qui s’affine progressivement.
Le traducteur d’aujourd’hui œuvre à la croisée de l’empathie et de la rationalité, grâce aux progrès de la traductologie, réflexion sur le traduire qui le rend plus conscient de ses choix.

Créé par la Sorbonne et l’institut Goethe, remis à l’ambassade d’Allemagne, le prix Nerval-Goethe récompense l’excellence en matière de traduction littéraire et favorise la diffusion des œuvres germanophones modernes. On ne soulignera jamais assez l’apport de cette pratique à la compréhension de l’autre et de la diversité. Apprécier la traduction, la cultiver et l’encourager, c’est mieux se connaître soi-même. En témoigne un mot de Goethe, le parrain de ce prix : « Quiconque ne connaît pas de langue étrangère ne sait rien de la sienne ». Vibrant plaidoyer en faveur de l’entre-deux, contre l’entre-soi…

Le prix Nerval-Goethe de traduction littéraire 2018 a été remis à Gilles Darras, maître de conférences à la Sorbonne, pour sa version française des Drames antiques de Franz Grillparzer
(Les Belles Lettres, 2017). Pour lui, la pratique de la scène est indissociable de l’ouvrage du traducteur, car dans ces deux domaines, tout est affaire de tonalité et de rythme. Acteur et directeur de troupe, il modifie toujours à la lumière de ses travaux scéniques sa restitution à la fois précise et inspirée.
Le traducteur, un migrant nageant d’une rive à l’autre ? Sans doute, à l’image du Léandre d’un drame antique qui, toutes les nuits, franchit l’Hellespont pour rejoindre sa bien-aimée – belle métaphore de la navette amoureuse pour qualifier la traduction, jeu à la frontière qui se joue des frontières.

Visuel : Claire de Oliveira