CROIRE QUE L’ON SAIT ET SAVOIR QUE L’ON CROIT

Georges Picard

Georges Picard

Inutile d’essayer de chasser définitivement les préjugés : vous les faites sortir par la raison, ils reviennent par l’instinct. Les plus intelligents des hommes, disons les politiciens puisqu’ils le croient, sont persuadés que les vérités qu’ils défendent sont les produits d’un travail intense de réflexion et de documentation. En réalité, leur mécanisme intellectuel travaille à rebours de cette belle logique : l’homme politique part de conclusions d’origine affective pour les étayer ensuite par n’importe quels raisonnements, y compris les plus absurdes. Comme disait le Stoïcien grec Chrysippe (IIIe siècle av. JC) : « Donnez-moi les dogmes, les démonstrations, je les trouverai tout seul. » Bien que nous soyons moins intelligents que les philosophes et les politiciens, nous fonctionnons ordinairement comme eux. Si je crois avoir raison dans un débat sur tel point particulier, il faudra me bâillonner pour m’empêcher d’éreinter mes contradicteurs d’arguments factices jusqu’au bout de la nuit. Dans le secret de mon coeur, suis-je dupe de ma mauvaise foi ? Bien sûr que oui, car l’instinct de survie intellectuelle me protège contre le doute. Seuls les individus manquant de vitalité et d’appétit de pouvoir sont victimes de ce scepticisme désastreux qui les amène à nuancer les modestes vérités qu’ils défendent face aux Vérités en béton armé de leurs contradicteurs. La vie n’aime pas les faibles. Elle milite pour la foi contre la bonne foi. Elle nous dit : défendons n’importe quelles sottises, l’essentiel est d’avoir des convictions.

Par Georges Picard, écrivain

Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, Georges Picard, Éditions Corti