Mathème très fort

Au début était le Verbe… puis le nombre vint !

Les mots ont permis de nommer, d’ordonner, d’exprimer sentiments ou concepts, et de donner naissance à une science soucieuse de comprendre les lois fondamentales de notre univers. Pour y parvenir, le nombre s’est révélé un outil majeur, complice de la logique.

Dans la Grèce antique, Euclide l’érige au rang des beaux-arts de la pensée. La mathématique naît ainsi avec la géométrie pour mesurer la terre et s’interroger sur sa place dans le cosmos. Les pythagoriciens espèrent expliquer l’harmonie de l’univers grâce aux nombres. En opposition aux langues, les mathématiques s’imposent comme un espéranto universel. Le nombre permet d’effectuer des opérations, mais autorise aussi des spéculations abstraites pour franchir les limites des concevable ou commensurable.

Hégémonie du nombre

Avec l’adoption à la Renaissance du zéro venu de l’Inde, l’Occident donne un signe au néant. Le XVIIe siècle voit nombre d’esprits faire progresser la mathématique – Descartes, Pascal, Fermat, Neper ou Leibniz en quête d’une « langue universelle algébrique » . Puis le siècle des Lumières renonce à l’explication métaphysique du monde pour privilégier une approche matérialiste inspirée par les lois de la mécanique ; la nature est désormais perçue comme matière, mouvement et énergie. L’homme ne se contente plus de l’admirer ; il veut la comprendre, l’explorer et l’exploiter. Le XIXe siècle sera le témoin enthousiaste des sciences expérimentales.

“ La nature doit être l’esprit visible et l’esprit la nature invisible ”
Schelling

Rhizomatique, le nombre se propage dès lors à toutes les sciences ou biotechnologies et conquiert la technique qu’il transforme en force du vivant, grâce notamment au déchiffrage de l’atome ou du gène. Que le Nombre s’immisce au cœur de la matière ou du vivant, témoigne de l’ampleur de son règne. Des molécules chimiques au genre humain… un passage aussi vertigineux que celui du règne marin au monde terrestre !

Déshumanisation

Nous vivons sous le règne du nombre, au point d’être passés d’un Verbe d’essence humaniste à une idéologie de comptabilité, imprégnant toutes les strates de l’économie ou de la politique désormais exprimées en pourcentages, évaluations, budgets, revenus, allocations, PIB, démographie, codes PIN ou bancaires, carte Vitale ! Partout et sans cesse dénombrer, ordonner, mesurer, calculer.

Mathieu Térence, dans un pertinent opuscule, s’interroge sur le devenir du nombre. Crépuscule ou aurore de l’humanité ? Question de latitude sans doute.

Jacques Varoclier