L’ABUS DE MAJORITÉ

Par Elsa Beucher-Flament, Avocat à la Cour

Quel que soit le degré de leur participation au capital, le contrat de société fédère des associés mus par une volonté commune de réaliser et partager les bénéfices de l’entreprise. Toutefois, la majorité statutaire peut ne pas les distribuer et privilégier leur mise en réserve, sans que cette décision soit abusive.

En effet, selon la jurisprudence, une délibération des associés doit répondre à deux conditions cumulatives pour constituer un abus, savoir être inane au regard de l’intérêt social et favoriser la majorité au détriment de la minorité, l’intention de nuire n’étant pas requise.

Ainsi, l’affectation systématique de bénéfices à la réserve et le refus de distribuer tout dividende sont impropres à caractériser un abus de majorité, s’ils sont justifiés par l’intérêt social. Tel serait le cas d’une décision guidée par la situation économique de la société ou la perspective d’un investissement utile au développement de l’entreprise.

En revanche si le refus de distribuer ne procure aucun avantage à la société, cette mise en réserve militante peut être sanctionnée. Ainsi en est-il d’une société en sommeil, où le refus de distribuer a pour seul et artificiel objet de continuer à verser des loyers au bailleur, contrôlé de façon directe ou indirecte par l’actionnaire majoritaire. Un tel abus de majorité est exposé à la nullité de la délibération litigieuse, le juge n’ayant pas le pouvoir d’en modifier la teneur.

Même si le droit de vote constitue une prérogative statutaire, le minoritaire lésé pourrait engager la responsabilité délictuelle des majoritaires, sous réserve d’établir la preuve corrélative mais difficile à objectiver, d’un préjudice personnel autonome.