« Obligation n’est pas contrainte » ou la lettre d’intention peut-elle être un piège ?

A une époque où la vulgarisation juridique via internet entretient confusion entre information et connaissance, il est aisé, peu coûteux voire gratuit, d’accéder à des « modèles ». La lettre d’intention devenue souvent, par imitation anglo-saxonne, le premier acte formalisant l’intérêt d’un repreneur pour l’acquisition d’une entreprise, n’échappe pas à la règle.

Aussi, convient-il de ne pas se méprendre sur sa portée, ni rédiger précipitamment un tel document dont le titre aseptisé et anodin peut recouvrer des réalités juridiques variées et souvent plus contraignantes que le signataire a pu l’imaginer.

A ce stade précontractuel  des pourparlers, aucune des parties ne souhaite juridiquement s’engager ; il est en revanche important d’instaurer des règles de confidentialité dont la meilleure demeure la protection légale des échanges entre avocats. Elle permet en effet aux clients d’avancer sereinement dans leur négociation, sans  risquer de se voir opposer des concessions ou accords consentis hâtivement tant que l’accord final n’est pas officialisé par la signature d’un protocole d’accord.

Or, trop souvent les lettres dites d’intention, dès qu’elles sont acceptées par le destinataire, deviennent des contrats figeant le processus contractuel ou mettant à la charge des parties des obligations prématurées à ce stade de la négociation alors que, les audits n’ont pas encore été effectués. Il devient alors difficile d’amender l’accord et remettre en cause ce qui a été accepté par un acquéreur qui n’a pas crû s’engager de façon irréversible.

C’est pourquoi, il est souhaitable d’initier le rapprochement par une convention d’exclusivité de négociation ouvrant une période d’investigation, mais épurée de tout engagement financier. Cette première étape met à la charge du vendeur l’obligation de  cesser ses pourparlers avec d’autres compétiteurs et symétriquement donne à l’acquéreur une légitimité contractuelle pour réaliser l’audit à l’issue duquel, conforté dans son intérêt et la valeur de l’entreprise, il pourra alors mais alors seulement formuler une offre et s’engager sur un prix.

La phase suivante consiste à conclure un protocole d’accord sous diverses conditions suspensives (notamment d’obtention des concours bancaires), définissant avec précision le prix et ses modalités de paiement, ce dernier devant être déterminable à défaut d’être encore déterminé.

Les parties peuvent préférer signer une promesse unilatérale de vente ou d’achat. Dans ce schéma, l’une d’entre elles seulement souscrit un engagement (pollicitation), l’autre partie (le Bénéficiaire) ayant toute latitude d’y donner suite ou non dans le délai convenu. Une telle promesse constitue l’amorce unilatérale d’un processus juridique qui fixe le périmètre contractuel et permet à l’acquéreur de mesurer son implication, les obligations souscrites et  la portée de sa signature. La levée de l’option par le Bénéficiaire convertit alors la promesse en convention synallagmatique emportant réalisation définitive, dès avènement des conditions suspensives prévues.

Le processus contractuel idéal demeure toutefois sans doute de suivre les phases incrémentales suivantes :
– engagement de confidentialité et d’exclusivité permettant au candidat à la reprise de mener son audit pendant une durée déterminée ;
– protocole d’accord sous la forme d’une promesse (réciproque ou non)
– puis signature de tous les actes, en ce compris la nécessaire et prudente garantie d’actif et de passif dont les termes auront été arrêtés lors de la signature du protocole d’accord afin d’éviter l’émergence de désaccords au stade final.

En toute hypothèse, la prudence est de mise dans la rédaction des actes juridiques, dont la portée n’est pas celle de leur titre mais de leur contenu.

Jacques VAROCLIER
Avocat à la Cour