Le bailleur, mal-aimé des procédures collectives

Par une de ses boutades dont il avait le secret, Coluche ironisait en affirmant que nous étions tous égaux… mais certains plus que d’autres.

En matière de procédure collective où ce principe d’égalité prévaut, ce constat désabusé peut être fait par le bailleur de « locaux professionnels » qui apparait un peu moins à égalité que les autres cocontractants.

En effet, à l’exception des I et II de l’article L.622-13 du C. com. (qui lui sont communs), le bail est un contrat régi par deux articles spécifiques (L.622-14 et L.622-15 C. com.) visant l’occurrence d’un preneur en procédure collective puisque évoquent les baux « donnés à bail au débiteur et affectés à l’activité de l’entreprise. » Dans leur rédaction issue de l’ordonnance 2008-1345 du 19 Décembre 2008, ils instaurent un régime singulier garantissant de plein droit au locataire défaillant la poursuite de son bail après le prononcé du jugement d’ouverture, même si l’administrateur judiciaire ne répond pas à la mise en demeure du bailleur.

Inversement, l’administrateur peut notifier la résiliation immédiate du contrat de bail qui prend effet « au jour où le bailleur est informé de la décision de l’administrateur de ne pas continuer le bail ».

En écho au législateur, la jurisprudence veille à préserver le maintien du bail du locataire pour privilégier la poursuite d’activité pendant la période d’observation (A) puis au-delà, en cas de cession, frappe d’inopposabilité les clauses susceptibles de faire obstacle au libre choix du repreneur par le Tribunal (B).

A- La notion de bail en cours

Comme les autres contrats, un bail est réputé en cours selon une jurisprudence établie si au jour de l’ouverture de la procédure collective, aucune décision de justice relative à sa résiliation n’est passée en force de chose jugée au sens de l’article 500 du CPC (Cass. Com. 1995-90.18.439 n°143). Cette jurisprudence a été reconduite sous l’empire de la loi du 26 juillet 2005 (1).

Au prix parfois d’une grande créativité, elle diffère ainsi l’opposabilité à la procédure collective de la résiliation du bail.

Ainsi, passant outre les réquisitions du Ministère Public, dans un arrêt du 11 juin 2008 (2), la Cour d’Appel de Riom a validé un appel pourtant relevé par les mandataires judiciaires près de 6 mois après la signification du jugement à leur administrée, au visa de l’article 531 du CPC, lequel prévoit l’interruption du délai de recours en cas de changement de « capacité ».

Cet article instaure en effet une interruption jusqu’à la « notification faite à celui qui a désormais qualité pour la recevoir. » L’esprit du texte est simple ; il convient de faire en sorte qu’en cas de perte de capacité d’une personne physique à qui un jugement est notifié, le délai soit interrompu pour permettre aux tuteur ou héritiers d’en avoir connaissance et d’apprécier l’opportunité ou non d’exercer un recours, la loi estimant alors qu’ils ont seuls la « capacité » à le faire.

Toutefois, l’article 531 du CPC évoque uniquement un changement de capacité juridique (notion réservée aux personnes physiques puisqu’elle définit leur aptitude à jouir de droits et obligations et à les exercer) et non un « changement d’état », terminologie spécifique aux procédures collectives.

L’article 531 ne paraît donc pas viser une société dont le prononcé d’un redressement judiciaire n’altère pas la personnalité juridique, pas plus qu’il ne remet en cause le mandat du représentant légal (a fortiori lorsque la décision du Tribunal de Commerce est un
redressement qui à la différence d’une liquidation judiciaire n’emporte aucun dessaisissement.)(3)

En conséquence, il ne semble pas qu’existe à ce jour un texte pouvant donner assise légale à l’obligation de signifier une seconde fois (après l’ouverture d’un redressement judicaire) un jugement déjà valablement signifié à une société encore in bonis. La Cour d’appel de Riom a pourtant adopté une lecture différente. (4)

Cette jurisprudence protectrice du preneur pénalise pourtant le bailleur qui n’a de facto que rarement l’opportunité d’être bénéficiaire d’une décision passée en force de chose jugée, avant que son locataire défaillant ne dépose le bilan.

B – L’inopposabilité de certaines clauses du bail

Souvent, le redressement judiciaire s’achève sur une cession de l’entreprise, c’est-à-dire pour l’essentiel de son fonds de commerce, dont la mutation n’emporte pas de plein droit celle des contrats y attachés (à l’exception des contrats de travail).

Aussi la loi donne-t-elle au tribunal, à la demande du repreneur, le pouvoir exorbitant d’imposer aux cocontractants la cession judiciaire des contrats de crédit-bail, location ou fourniture de biens et services, qu’il estime « nécessaires au maintien de l’activité » (L 642-7 du Code de Commerce).

Le texte limite l’obligation du mandataire de justice à communiquer au Tribunal les éventuelles observations du bailleur dont le contrat est cédé d’office. Cette rédaction minimaliste induit la volonté de réduire a quia le bailleur.

Ainsi ne peut-il pas arguer d’une clause d’agrément contenue au bail pour s’opposer à une cession puisque elle est jugée inopérante (Cass.Com 6 décembre 1994 n°91-17.297 Bull. Civ IV n°368).

Le propriétaire ne peut davantage se prévaloir de la solidarité contractuelle, une telle clause du bail étant réputée « non écrite » par les articles L.622-15 et L.641-12-3°.

Il en est de même pour la préemption, alors même qu’elle est supposée permettre au bailleur de maitriser l’évolution du droit au bail et surtout l’identité du cessionnaire.

Les partisans de son opposabilité à la procédure collective excipent de la nature personnelle de la créance qui constitue un droit de préférence (5). A l’inverse, les partisans de l’ordre public économique estiment que la clause de préemption doit être réputée inopposable, si la cession débouche de facto sur un plan de cession au sens des articles L 631-22 ou L 642-1. (6) (qu’elle intervienne en sauvegarde, redressement ou phase liquidative).

En l’état des textes et de la jurisprudence, il semble donc que la clause de préemption ne puisse profiter au bailleur qu’en phase liquidative, lorsque la cession est autorisée, non par le Tribunal, mais par le seul juge-commissaire, en exécution des pouvoirs qui lui sont confiés par l’article L 642-19.

L’ordonnance du 18 décembre 2008 vient, au soutien de cette analyse, lorsqu’elle affirme que les droits de préemption institués par le Code rural ou le Code de l’urbanisme ne peuvent s’exercer sur les biens compris dans un plan de cession d’entreprise.

Ainsi, l’article L 642-5-4e écarte expressément le droit de préemption au profit des communes visé à l’article L 214-1 du Code de l’urbanisme en cas de vente de fonds de commerce ou artisanaux dans un plan de cession intervenant en sauvegarde (L 626-1), redressement (L 631-32) ou liquidation judiciaires (L 642-1 et suivants).

En revanche hors plan, ces droits de préemption s’imposent ; c’est pourquoi le liquidateur, en vertu de l’article R 214-8 du Code de l’urbanisme, est tenu en cas d’adjudication ordonnée par le juge-commissaire de procéder à la déclaration préalable, un mois avant la vente en notifiant à la mairie qu’elle dispose d’un délai de 30 jours suivant l’adjudication pour se substituer à l’adjudicataire.

Ainsi, pour toute cession ordonnée par le Juge-commissaire, le liquidateur doit respecter l’ensemble des clauses et conditions des contrats en ce compris l’éventuel pacte de préférence stipulé dans le contrat de bail (Cass. Civ. 9 décembre 2009, n° 04 19923)
En effet, l’article L 641-12 C.com lui impose d’observer « les conditions prévues au contrat conclu avec le bailleur avec tous les droits et obligations qui s’y rattachent ».

Au demeurant, si la cession du droit au bail intervient en tant qu’élément isolé, elle est subordonnée à l’accord du propriétaire, puisqu’à la différence d’une cession de droit au bail incluse dans un fonds de commerce (qui ne peut jamais être prohibée à peine de nullité [L.145-16 du Code de Commerce]), la cession du droit au bail stricto sensu requiert l’accord préalable du bailleur.

Ainsi, le bailleur ne retrouve la plénitude de ses droits contractuels qu’en liquidation judiciaire, lorsque la cession est ordonnée par le juge-commissaire sur le fondement de l’article L 642-19 C. com. En revanche, en cas de plan de cession, le bailleur doit se résoudre à être un cocontractant démuni. Il subit un nouveau locataire sans pouvoir s’assurer de sa solvabilité.

Or, les plans de cession sont arrêtés à l’aune de critères légaux mentionnés à l’article L 642-5 al 1er qui privilégient souvent le critère de l’emploi. Le candidat préféré ne sera pas nécessairement celui qui affiche la meilleure lisibilité ou santé financière, mais souvent le mieux-disant social, qui saura mettre en avant la performance de son offre quant au maintien des emplois.

Le Tribunal vérifie les garanties d’exécution qui assortissent l’offre, ce contrôle ponctuel est lié au paiement du prix ou au respect des engagements financiers souscrits par le repreneur ; il n’est pas une agence de notation et sa décision ne préjuge en rien de la qualité financière du preneur, même si son choix est guidé par le souci constant de la pérennité de l’exploitation.

Le législateur souhaite favoriser le redressement d’une entreprise soumise à turbulences, en s’assurant qu’elle conservera la faculté d’exploiter son activité sans s’exposer à une expulsion. Pourtant si elle ne parvient pas à payer ses loyers en période d’observation, son redressement parait déjà incertain ; de même, si le bail n’est pas nécessaire à son exploitation, il ne faut pas trois mois à un administrateur judiciaire pour s’en rendre compte.

Conscient que les critères de choix retenus, obéiront à des intérêts réputés supérieurs aux siens, le bailleur ne peut sans inquiétude subir des entorses aggravées au principe « pacta sunt servanda » qui a inspiré l’art. 1134 du C. Civ. (7)

Un tel parti pris dans l’approche économique est d’autant plus étonnant, que plus de 90 % des procédures collectives se terminent en liquidation.

Autrement dit, pour moins de 10 % d’entreprises redressées, le bailleur est sacrifié au risque de subir un effet domino et d’être lui-même mis en difficulté, si, comme il est probable, ses loyers lui sont nécessaires au remboursement du prêt souscrit pour acquérir l’immeuble.

Jacques Varoclier
Avocat à la Cour

(1) « Ayant relevé qu’au jour de l’ouverture du redressement judiciaire de la Société l’ordonnance de référé constatant l’acquisition de la clause résolutoire était frappée d’appel, l’arrêt retient exactement qu’à cette date, l’acquisition de la clause résolutoire, pour défaut de paiement des loyers antérieurs à l’ouverture de la procédure soumise aux dispositions de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, n’avait pas encore été constatée par une décision passée en force de chose jugée, de sorte que le bailleur ne peut plus poursuivre l’action antérieurement engagée, peu important à cet effet que l’ordonnance de référé soit exécutoire à titre provisoire » (Com, 28 octobre 2008, pourvoi n° 07-17.662 P ; Com, 3 juillet 2007, pourvoi n°05-21.030).

(2) TERROIR de VILLEFRANCHE C/ MAITRE FRA (RG N° 08/00281) CA Riom 11 juin 2008

(3) Le seul arrêt existant à ce jour ayant légitimé l’application de l’article 531 du CPC est une décision de la Cour de cassation du 19 janvier 1999 (Cass. com. 19 janvier 1999, 96-18.256 bull. civ. n° 17.) prononcée en matière de saisie-attribution et admettant au visa de cet article que l’ouverture d’une procédure collective pouvait interrompre le délai de recours.
Néanmoins cet arrêt est doublement spécifique car lié à une saisie-attribution c’est-à-dire une mesure d’exécution et en outre pratiquée dans l’hypothèse d’une liquidation judiciaire, c’est-à-dire d’un débiteur frappé de dessaisissement.
Or, telle n’était pas l’hypothèse de la Cour d’appel de Riom où il ne s’agissait pas d’une mesure d’exécution, mais de la signification d’un jugement à une personne morale encore in bonis et valablement représentée par son Président.

(4) Saisie d’un pourvoi à l’encontre de cet arrêt, la Cour de cassation a prononcé une décision de non-admission pour absence de moyen sérieux par renvoi à sa jurisprudence devenue constante du 28 octobre 2008 (cf 1) sans se prononcer sur le second moyen dénonçant l’interruption du délai de recours retenu par la Cour d’Appel de Riom au visa surprenant de l’article 531 du Code de Procédure Civile. (Arrêt Cass.com 20 octobre 2009 Pourvoi n° Z 08-18.385).
Toutefois, par arrêt du 18 mai 2016 (Cass.com. n°14-25997),  La Cour de cassation vient de valider cette analyse juridique et procédurale soutenue dès 2008 par la société MAITRE. Elle a ainsi jugé que même le dessaisissement du débiteur né de l’ouverture d’une liquidation judiciaire au cours du délai d’appel, n’emportait pas changement de capacité au sens de l’article 531 CPC, de nature à interrompre un délai de recours. Ainsi comme le soutenait la société MAITRE dès 2008, un changement « d’état » n’est pas un changement de « capacité » du débiteur et ne peut donc interrompre le délai ouvert pour former recours contre une décision régulièrement signifiée, ni justifier la nécessité de renouveler la signification du jugement au liquidateur judiciaire.

(5) Tel est d’ailleurs le sens des arrêts du 13 février 2007 qui reconnaissent la primauté devant être accordée au pacte de préférence. Néanmoins, ces décisions paraissent topiques et insuffisantes pour valider la thèse de l’opposabilité s’agissant d’espèces spécifiques. Cass. com. 13 février 2007, n° 05-17.296 ; Cass. com. 13 février 2007, n° 06-11-289.
Le débat portait, pour l’un, sur le transfert au profit du cessionnaire d’un bail, d’une clause de préemption stipulée à personne dénommée et incessible aux tiers. Néanmoins, il ne s’agissait pas d’une préemption au profit du bailleur mais au preneur qui avait négocié et obtenu du propriétaire d’un herbage, à titre personnel et nominatif, un droit de préférence en cas de cession par le propriétaire de son bien.
Quant à l’autre espèce, elle était relative à une cession d’unité de production ; c’est pourquoi les partisans de la seconde thèse ont critiqué cette décision de la Cour de Cassation, estimant qu’il s’agissait d’une cession de même nature juridique qu’un plan de cession arrêté par le Tribunal, laquelle mutatis mutandis, aurait dû s’imposer au bailleur « nonobstant les clauses restrictives des clauses du bail dans la mesure où elles rendraient impossibles la cession envisagée ».

(6) Fabien Kenderian « Le Sort du Bail Commercial dans les procédures collectives », 2ème édition § 109. Defrénois 1995, Art. 36139, p. 967, spéc. p. 966.

(7) Considérations sur l’Histoire du droit consensuel (Johannes Bärmann) RIDC 1961 volume 13-Numéro 1 p. 18 à 53.